Déborder Bolloré

Faire face
au libéralisme autoritaire dans le monde du livre.



Alexandre Balcaen et Jérôme LeGlatin

Ce document est extrait de la publication multiformat Déborder Bolloré. Il a été généré puis rendu accessible sur deborderbollore.fr, la plateforme hébergeant toutes les ressources autour du projet, dont cette contribution. Déborder Bolloré met en avant la pensée de chercheureuses, d’imprimeureuses, d’éditeurices et de libraires qui analysent et/ou subissent les dynamiques de concentration et d’extrême droitisation du marché. Chacun·e tente de formuler, depuis sa position respective, des réponses à cette question urgente : comment faire face au libéralisme autoritaire dans le monde du livre ?

Le livre, cette marchandise

La chaîne du livre, prise par un bout


Si de nouveaux tournants décisifs de la révolution numé-rique mondiale sont en cours dans le secteur culturel, l’activité d’édition a toujours pour objectif en 2025 de réaliser la présentation de textes et d’images1. Et cette présentation aboutit, parfois encore, à un objet imprimé qu’on appelle : livre2.

L’élaboration d’un livre se réclame d’un ou plusieurs auteurs, que ceux-ci aient initié une proposition ou obéi à des prescriptions — il importe de noter que les effets complémentaires, sinon complices, de l’uniformisation des expressions humaines (via une somme de procédés éducatifs et socioculturels mondialisés, réglés par les sciences de la communication) et de l’automatisation des processus créatifs remettent désormais en cause cet impératif3.

L’éditeur se reconnaît responsable d’une suite de publications qui constitue, en son pendant concret, un catalogue et, en son pendant idéologique, intellectuel, sensible, une ligne éditoriale. L’éditeur aspire à ce que son catalogue et sa ligne éditoriale se singularisent, pour des raisons diverses, parfois conjuguées (esthétiques, intellectuelles, éthiques, économiques, mercantiles, etc.).

L’activité éditoriale — que l’éditeur opère seul ou dirige une équipe — consiste à examiner les propositions spontanées reçues, observer l’offre de ses concurrents ou prospecter la création internationale, passée et présente, afin d’initier, sélectionner, solliciter des projets. Cette activité est par ailleurs soumise à des obligations administratives (droit, comptabilité, gestion) et peut assumer des enjeux promotionnels (marketing, presse, événementiel).

L’activité éditoriale consiste aussi à réaliser la maquette d’un livre, composition virtuelle en vue de l’impression de l’objet-livre. Cette réalisation requiert des compétences de nombreuses disciplines : correction, traduction, typographie, photogravure, graphisme, mise en page, fabrication.

La maquette d’un livre achevée, d’autres spécialistes interviennent :


Ces maillons (auteurs, éditeurs, imprimeurs, diffuseurs, distributeurs, libraires) composent un ensemble, à la fois atomisé et interconnecté, qu’on appelle : chaîne du livre.

Pour tout livre vendu, chacun de ces maillons perçoit une commission établie en pourcentage sur le prix de vente4, à l’exception de l’imprimeur qui est payé forfaitairement. Cet ensemble de pratiques techno-économiques contractualisées5 est régi en France par la loi Lang de 1981 sur le prix unique du livre. Ce prix de vente public, fixé par l’éditeur, ne peut être soumis à aucune remise supérieure à 5 % pour une durée de deux ans après parution. La loi vise ainsi à tempérer les effets de la concurrence entre les différents modèles de librairies — de la grande distribution au commerce en ligne ou l’échoppe de proximité. C’est encore sur la base de ce prix unique, mis en regard d’un ratio entre les coûts du premier tirage et les ventes prévisionnelles, que l’éditeur peut modéliser avant parution la trajectoire économique de sa marchandise.

Du 7-2-1 au 15-4-1


L’activité éditoriale a longtemps épousé les principes d’une règle économique empirique, dite du 7-2-1. Pour 10 livres produits, 7 sont déficitaires, 2 atteignent l’équilibre financier, 1 seul génère des bénéfices suffisants pour amortir le déficit cumulé des sept premiers. Selon cette règle, une maison d’édition est une structure économique qui réalise généralement des bénéfices restreints.

La pérennité de la maison repose alors sur la gestion de son fonds, c’est-à-dire sur la disponibilité de ses anciens titres. Cette gestion reste une gageure : les coûts de réimpression d’un titre peuvent parfois annuler les bénéfices d’un premier tirage épuisé6. Maintenir un fonds est de plus un choix onéreux, puisqu’il immobilise de la trésorerie et génère un coût de stockage. Néanmoins, c’est une condition sine qua non pour tout éditeur attaché à l’inscription de son catalogue dans une temporalité longue, d’autant plus nécessaire lorsque sa ligne éditoriale ne s’établit pas selon l’agenda de l’actualité. Ainsi, un fonds peut se révéler rentable à moyen ou long terme, en fonction des évolutions historiques, politiques, sociales, culturelles — évolutions auxquelles peuvent participer, travail de fond du fonds, cesdits catalogues.

La gestion du fonds est une question tout aussi névralgique pour une librairie, bien que répondant à des contraintes différentes. Une librairie bénéficie d’une marge commerciale équivalente, en moyenne, au tiers du prix du livre. Pour que la disponibilité permanente d’un livre en rayon soit financièrement amortie, il faut qu’il ait été vendu au moins trois fois (deux fois pour rembourser le coût d’acquisition de l’ouvrage, une fois supplémentaire pour participer aux charges de la librairie : salaire(s), loyer, amortissement du matériel, abonnements aux bases de données de référencement et de comptabilité/gestion, électricité, assurance, etc.). La librairie doit de plus gérer l’encombrement de sa surface de vente, entre rayonnages pour le fonds et tables de présentation pour la nouveauté (l’optimisation de cette surface de vente peut s’opérer avec un calcul de rentabilité au mètre linéaire d’exposition).

Le bénéfice net d’une librairie ou d’une maison d’édition défendant une politique de fonds s’établit rarement au-delà de 3 % de son chiffre d’affaires, puisque préserver la disponibilité d’un grand nombre de références générant des ventes faibles est particulièrement coûteux (on parle ici de « titres à rotation lente »). Le moyen communément jugé le plus efficace pour augmenter ce bénéfice net est ce qu’on appelle le best-seller, soit un livre générant des ventes exceptionnellement élevées (on parle alors de « titre à rotation rapide »). D’aucuns diront alors qu’éditeurs et libraires ont tout intérêt à ce qu’il advienne.

Le système économique en place visant l’accélération et l’augmentation ad infinitum des bénéfices, la règle du 7-2-1 a glissé ces trente dernières années vers un ratio plus proche de 15-4-1 (15 livres déficitaires, 4 à l’équilibre et 1 qui génère les bénéfices nécessaires). La stratégie est simple : à multiplier les paris, on multiplie les chances d’obtenir un succès. Mais l’efficacité économique du modèle 15-4-1 nécessite un raccourcissement de la durée de représentation d’une nouveauté en librairie. Il faut en effet qu’un pari jugé perdu laisse rapidement sa place au pari suivant. Et il s’agit donc de dynamiser les flux.

Pour permettre cette accélération, le secteur de la distribution a bouleversé les règles établies en abolissant le délai de garde. Celui-ci imposait aux libraires de conserver un livre en magasin pendant au moins trois mois, avant de pouvoir le retourner à l’éditeur. Le délai de garde était donc d’une importance cruciale pour offrir un minimum de visibilité à un ouvrage après parution. Désormais, la durée de présentation d’une nouveauté en librairie peut ne pas dépasser quelques jours.

La chaîne du livre, prise par un autre bout


Mais plutôt qu’aborder les choses à partir de l’activité d’éditeur ou de celle d’auteur, une connaissance adéquate du secteur du livre gagnera à se concentrer sur son centre de commande effectif : la distribution, à partir de quoi tout rayonne. Trop souvent considérée comme le rouage purement logistique et marchand d’une organisation socio-économique se vouant à des idéaux culturels plus purs (au point qu’il est courant de présenter cette organisation comme un biotope plutôt qu’une industrie…), la distribution organise structurellement le secteur, le déterminant de fond en comble.

Ce qu’on appelle distribution consiste pour l’essentiel en une poignée de structures économiques surpuissantes, liées aux groupes d’édition qui dominent le marché7. Ces entreprises de distribution gèrent la commercialisation de la majorité des ouvrages existants, en organisant les flux physiques (stockage, livraison et retour des marchandises) et financiers (facturation, remboursement) entre les éditeurs et les libraires. Les distributeurs occupent de plus une position singulière : la commission qu’ils perçoivent sur les livres vendus s’accroît par leur gestion des flux, désormais si conséquents, de livres invendus. Le transport et le contrôle de l’état de la marchandise retournée puis, en fonction de cet état, sa réhabilitation et réintégration dans les stocks, ou son renvoi à l’éditeur en tant que « marchandise défraîchie », ou bien encore sa destruction par le biais du pilon sont autant d’opérations que le distributeur facture. Pour le distributeur, non seulement chaque mouvement de chaque livre rapporte, mais l’invendu lui-même, lorsque stocké, parfois des années durant, ou bien purement détruit, est source de bénéfices.

Bien plus qu’une erreur d’analyse, seul un travail acharné de refoulement sociopolitique peut alors faire croire, comme nous l’avons entendu si souvent, que la recherche du « gros coup » de la part des éditeurs explique la surproduction qui gangrène l’économie du livre ou que la multiplication des auteurs entraîne la hausse vertigineuse des publications. C’est, ici comme là, voir le problème tout à l’envers, en particulier lorsqu’on en vient à tenir les travailleurs précaires d’un secteur industriel pour responsables des ravages opérés par ce dernier.

Éditeurs, libraires, auteurs, lecteurs sont devenus les acteurs, plus ou moins volontaires, plus ou moins conscients, nécessaires au secteur de la distribution pour accroître l’expansion spatiale et temporelle de la circulation marchande8 et ses profits afférents. Autant d’intermédiaires, dont les comportements et désirs (choix éditoriaux, sélection des libraires, productions artistiques, intérêts du lectorat) sont en premier lieu déterminés par la logique hyper-productiviste du capitalisme mondialisé. Et si des résistances ont toujours cours en chacune des sphères d’activité du secteur, distribution comprise9, les marges de manœuvre se sont réduites comme peau de chagrin ces vingt dernières années.

La dérégulation progressive, au tournant des années 2000, du protocole du retour sur invendus ayant fait sauter toute contrainte relative au délai, à la quantité, ou à l’état des marchandises retournées par les librairies, l’ampleur et la vitesse des flux ont été décuplées — autant d’effets circulatoires débridés bénéficiant en premier lieu aux entreprises de distribution. La nature même des métiers d’éditeur (plus que jamais pourvoyeur de marchandises en quête d’une visibilité éphémère sur des étals encombrés) et de libraire (par une accentuation dramatique et chronophage du rôle de sous-gestionnaire comptable et physique des flux) en a été bouleversée. Les premiers subissent les conditions techniques et économiques imposées par la distribution pour obtenir un simple droit de représentation en librairies. Les seconds ne peuvent plus avoir une connaissance adéquate des innombrables produits qu’ils proposent à la vente (les rayons des librairies étant de plus soumis à un engorgement qui dessert toute politique de fonds), et voient les taux de remise dépendre de leur soumission aux offres commerciales proposées, sinon imposées, par le diffuseur.

Bras commercial armé de la distribution, le diffuseur a pour fonction de présenter les produits au libraire et établir avec lui les commandes. Le conflit d’intérêt entre diffuseur, déterminant le volume des commandes, et distributeur, dont les bénéfices sont directement liés au flux de marchandises, serait bien sûr patent si les deux fonctions n’étaient pas remplies, comme c’est le plus souvent le cas, par la même entreprise. On notera enfin que l’entreprise de diffusion-distribution, propriété d’un groupe d’édition spécifique, est souvent plus favorable aux labels de la maison-mère qu’à la constellation d’autres structures d’édition indépendantes qu’elle représente par ailleurs (entendre alors combien l’indépendance de ces structures d’édition participe de fait d’un type de dépendance très particulier).

Conséquence logique de ce passage, relativement récent, à une économie de flux dans le secteur du livre : 1) de plus en plus de marchandises sont vendues, mais pour chaque titre en quantités de plus en plus faibles, 2) de moins en moins de marchandises sont vendues au total, en pourcentage d’une masse d’objets produite toujours plus élevée, finissant ici stockée, là détruite. Cette augmentation délirante des volumes de marchandises, ainsi que leur circulation, stockage et destruction effrénés, entraînent in fine une explosion des profits pour les entreprises de diffusion-distribution, alors même que le reste du secteur plonge dans une dépression systémique.

Qui alors pour imaginer que sortiraient indemnes de ce grand lessivage culturel deux à trois générations d’auteurs (variable d’ajustement industriel type, dont les conditions de vie se sont effondrées), d’œuvres (que la qualité de marchandise jetable affecte dès l’origine), de lecteurs (débordés, sinon sidérés, par une offre rendue insaisissable et ne requérant plus d’eux qu’une réactivité réflexe d’achat) ?


Mais si tout cela semble encore tenir, si certains peuvent encore parler d’un secteur du livre et non pas uniquement d’un champ de ruines, c’est grâce à la puissance d’aliénation du système. Ainsi, exemple symptomatique, dans le cas de retours importants d’invendus effectués par le libraire — retours importants qui sont aujourd’hui la règle, puisqu’un tiers du volume de nouveautés distribuées est retourné par les librairies — le distributeur, qui centralise aussi les flux financiers, a dans un premier temps versé à l’éditeur une somme correspondant à l’ensemble des marchandises reçues et payées au distributeur par le libraire. Le droit de retour, spécifique au commerce du livre, permet au libraire de retourner les livres qu’il n’a pas vendus (ce qui explique les difficultés, pour l’éditeur, à établir un plan de trésorerie prévisionnel : un livre vendu à une libraire ne l’est véritablement que si un client l’achète. Dans le cas contraire, la vente peut être invalidée et le livre retourner à l’éditeur). Le retour des invendus développe alors, dans ses conséquences financières, des rapports de force singuliers. Le libraire se voit non pas remboursé, mais crédité d’un avoir pour une future commande auprès du distributeur. L’éditeur quant à lui, de par les livres qui lui ont été réglés mais qui sont désormais retournés, se retrouve endetté auprès du même distributeur. Pour éviter d’avoir à rembourser son dû (qu’il n’est, sinon taux de ventes exceptionnel ou dynamisme miraculeux du fonds, jamais en mesure d’honorer), l’éditeur relance pour un tour, via de nouvelles parutions lui assurant de nouvelles liquidités, la circulation virtuelle de l’argent et celle, très concrète, des dettes.

Autrement dit, pour ne pas avoir à payer l’échec, annoncé de par la nature du marché, des livres déjà parus, l’éditeur publie de nouveaux livres, forcément toujours plus déficitaires selon l’évolution logique, irrésistible, de l’économie en place. Dans le secteur du livre, comme partout ailleurs, l’endettement se fait à la fois agent actif et ralentisseur utile de l’effondrement en cours. Et quelques acteurs, toujours plus minoritaires, bénéficient de plus en plus largement de cette catastrophe, le temps que ça durera.

Il importe de noter enfin comment les aides publiques (soient-elles régionales, étatiques, européennes) participent depuis des décennies, dans tous les secteurs de l’économie réelle et financière, à diluer dans le temps et l’espace nombre des conséquences du désastre. Ce système de protection institutionnalisé rallonge ainsi la durée de l’effondrement global, prolonge l’espace-temps du profit, et lui permet de développer toujours plus avant ses effets de nuisance matériels et psychiques10. Les aides et subventions publiques sont aussi vitales pour la majorité des acteurs culturels, réduits à la dépendance et la précarité, qu’elles composent au final un rouage du hold-up généralisé qu’est le système organisé de captation de la richesse publique par le secteur privé.

Autrement dit, aussi : il n’y a aucun problème particulier dans l’économie actuelle du livre, dans son régime terminal de surproduction marchande et de paupérisation, économique et libidinale, généralisée, et aucune manière d’accommodement ou d’amélioration à espérer, puisque le dysfonctionnement est l’ordre de ce monde, capitaliste. L’écoulement productiviste ne connaîtra pas la moindre suspension. Tout fonctionne à l’idéal, droit dans le mur.


  1. Textes et images composant contenus, créations, savoirs ; quelques énoncés, parmi d’autres (infotainment, spectacle, essai, fiction, etc.), que l’on pourrait interroger ou préciser dans un autre cadre, mais dont on considérera, ici, que ce qu’ils désignent participent de cette production de masse. 
  2. 63 565 titres, c’est le nombre de titres représentant la production commercialisée en France en 2023 (nouveautés et nouvelles éditions, hors auto-édition et impression à la demande). Source : https://data.culture.gouv.fr/explore/dataset/chiffres-cles-pour-le-secteur-du-livre/information/ 
  3. En septembre 2023, la prolifération d’ouvrages générés par IA est telle qu’Amazon se voit contraint d’abaisser à trois titres par jour le nombre de publications autorisées pour un même « auteur ». En novembre 2024, l’annonce du lancement de la maison d’édition 8080 Books par Microsoft mentionne l’usage d’expérimentations technologiques pour « réduire le délai entre le manuscrit final et l’arrivée du livre sur le marché » et « démocratiser la publication de livres » via « un protocole éditorial rigoureux qui impliquera de repérer rapidement les idées et les arguments méritoires, d’assister l’élaboration des manuscrits ». Si cette annonce ne mentionne pas ouvertement le concours d’IA, The Guardian précise dans le même article que Microsoft a signé un accord avec la maison d’édition HarperCollins pour utiliser une somme d’essais du catalogue afin d’entraîner un modèle d’IA. 
  4. En moyenne (il peut exister des variations considérables selon les contractualisations) : 8 % pour l’auteur ; 21 % pour l’éditeur ; 15 % pour l’imprimeur ; 8 % pour le diffuseur ; 12 % pour le distributeur ; 36 % pour le libraire. 
  5. À noter que si c’est l’éditeur qui établit un contrat avec l’auteur, c’est le diffuseur-distributeur qui établit les contrats avec les éditeurs et avec les libraires — ce qui, on le verra, n’a rien d’anodin. 
  6. Pour un tirage s’établissant en moyenne au-delà de 500 exemplaires, c’est l’impression offset qui sera privilégiée (pour des raisons économiques). Or, on distingue dans ce cas les frais de calage (tirage des plaques, réglages de la machine), incompressibles et reconductibles en cas de retirage, et les frais de roulage (papier, encre, temps de travail), dégressifs en fonction du tirage. En cas d’épuisement du stock d’un premier tirage dont le seuil de rentabilité était assez élevé, les coûts d’un retirage générant des ventes faibles peuvent absorber les bénéfices réalisés sur le tirage initial. Pour des tirages au départ plus faibles, l’impression numérique offre depuis une vingtaine d’années une alternative plus souple, dans la mesure où elle ne nécessite pas de frais de calage. L’impression à la demande, en forte progression ces dernières années, profite elle aussi du développement du numérique, mais son coût de production plus élevé nécessite l’éviction d’une bonne part des intermédiaires entre auteur/éditeur et acheteur. 
  7. Les principaux groupes d’édition possèdent tous leur société de distribution : Hachette Distribution pour Hachette Livre, Interforum pour Editis, Sodis et Union Distribution pour Madrigall, Volumen pour La Martinière / Le Seuil, MDS pour Média-Participations, Dilisco pour Magnard-Vuibert, etc. Les groupes d’édition Hachette Livre, Editis et Madrigall traitent ainsi, via leurs entreprises de distribution, plus de 85 % du marché. À titre d’exemple, Hachette Livre possède des maisons telles que Grasset, Fayard, Stock, Le Livre de Poche, Larousse, Hatier & Hachette Éducation — soit l’essentiel des manuels scolaires — et tant d’autres ; tandis qu’Hachette Distribution gère, en sus des maisons du groupe Hachette, la commercialisation et la logistique des ouvrages publiés par Albin Michel, Bayard, Odile Jacob, Bamboo, Glénat, etc. Les effets de concentration sont vertigineux. 
  8. Entre 2007 et 2023, le nombre de titres disponibles est passé de 565 000 à 856 210, tandis qu’entre 1999 et 2019, le nombre de nouveautés augmentait de 76 %. 
  9. Si elles sont rares et occupent une part de marché très marginale, quelques entreprises envisagent l’activité de diffusion-distribution selon des biais politiques de soutien à la création marginale, affichant des conditions transparentes, acceptant de soutenir des maisons d’édition à la fréquence et aux volumes de publication faibles, voire s’alignant sur la décision de l’éditeur d’imposer la vente ferme (interdisant alors les retours sur invendus). 
  10. L’industrie culturelle est le secteur de production capitaliste dont le pouvoir de nuisance reste le plus inconsidérément négligé. En ce qu’elle ruine des puissances esthétiques — et dévaste ainsi des rapports exclusifs qu’entretiennent, de tout temps, ces puissances de bouleversement avec les champs perceptifs, sensibles, intellectuels, symboliques, psychiques, techniques, politiques, sociaux —, l’industrie culturelle a des effets destructeurs démesurés sur ce tout commun qui agence les possibilités, pour chacun d’entre nous, humains, d’exister. 

Pour citer cette contribution :

Ou alors :

Ont travaillé à la production de la publication multiformat Déborder Bolloré : Adrien, Arnaud, Alaric, Arnaud, Benny, Camille, Clara, Coralie, Éléonore, Emmanuel, Jérôme, Johan, Julie, Léna, Merlin, Nicolas, Pascale, Quentin, Rodhlann, Théo, Yann et Zoé.